Si la norme morale était une vaste idée, Petite Chimère était la définition même de la norme morale pour un chaton.
Petit Bohème, Petite Vipère et Petite Chimère ne se ressemblaient pas. Tandis que le reptile et la vagabonde étaient tigrés, l’une avait le pelage sombre tandis que l’autre était rousse. A son grand malheur, la Bête était écaille de tortue. L’unique mâle de la fratrie ne possédait pas suffisamment de connaissances pour comprendre sa différence de pelage et cette anomalie. Tel un chaton dans la norme, cette subtilité exotique l’amusait. Petit, il était persuadé que le Clan des Etoiles lui réservait une place en haut du promontoire. Il s’imaginait Etoile des Chimères et cette image rythmait ces rêves. Il serait le chef étoilé de l’Ombre, les guidant vers la lumière tel un prophète, sur le chemin de la réussite et de la reconnaissance. C’était un chaton.
La différence entre les chatons ne s’arrêtait au physique. Petite Vipère avait cette allure adulte dès son plus jeune âge et des trois, elle était souvent considérée comme la grande sœur protectrice. Petit Bohème monopolisait l’attention des parents de la fratrie, s’attirant la jalousie de son frère. Apparemment, elle avait « un truc », une chose qui clochait. Elle demeurait l’éternelle chouchoutée de la pouponnière, Petite Chimère le raillé. On ne cessait de lui dire qu’il avait « un truc », lui aussi, que quelque chose de physique ne s’accordait pas avec le reste. Peu à peu, il s’enferma dans son ambition démesurée et sa naïveté bidon pour vivre. Il se protégeait comme un chaton.
« Petite Vipère ! Allez viens on va explorer le monde avec Petit Bohème ! - Vas y gueule plus fort, tout le monde va nous tomber dessus comme ça. - Pas grave ! On aura peut – être quelque chose à faire, comme … Une mission spéciale ! Puis on deviendra des guerriers et on sera aimés et on sera adorés puis Bohème et toi vous serez mes lieutenants pendant que je serais votre chef et … - Vous n’irez nulle part. » Fleur de Lys avait parlé. Petite Chimère abandonna sa tirade et tira une moue déçue. La reine retourna à l’intérieur de la pouponnière et le chaton écaille s’éloigna lorsque …
« Prend Petit Bohème, on part à l’aventure. » sourit sa sœur. Ils annonçaient une épopée comme les chatons qu’ils étaient.
Partir du camp était une action dénudée de méchanceté pour un chaton. La fratrie s’enfuyait de temps à autres : Ils étaient mal aimés dans la pouponnière et leurs journées à être enfermés stimulaient leur curiosité. Dehors, ils s’amusaient et osaient être eux même. Petite Chimère regarda la rousse parler librement sans rire autour d’elle, Petite Vipère était plus proche d’eux que jamais, et lui, il imitait fièrement leur meneur tant adoré du jeune mâle. Ils agissaient comme des chatons.
Sa fourrure lui causait bien des malheurs et la Bête commençait à le comprendre. L’Utopiste devenait hargneux, obéissant à sa fratrie qui lui ordonnait de ne plus se laisser marcher sur les pattes. Briser vocalement ses bourreaux devenait sa préoccupation principale. Tandis que les moqueries se répétaient, une sourde colère l’envahissait. La cruauté de ses comparses le rendait fou d’incompréhension et il ne désirait qu’une chose : faire taire définitivement ces railleries. Petite Chimère craqua.
Il bondit sur un petit félin blanc, laissant la Bête en lui prendre le dessus. Il devenait violent et s’en affligeait. Lui, si doux et gentil de base, devenir un monstre avide de vengeance ? C’était impensable.
Une douleur lui déchira littéralement les pattes avant. Il hurla et se recroquevilla sur lui-même. Il se mit à pleurer tant ses griffes lui étaient douloureuses. Les rires s’intensifièrent, les insultes volaient. Il goûtait à l’humiliation de ses semblables et il en souffrait.
« Tu ne peux pas être guerrier sans armes. Tes griffes sont tes armes, ce n’est pas ta mâchoire qui va te servir en combat. »La sentence était cruelle. Elle était tombée comme ça, sur la tête du pauvre Petite Chimère qui voyait ses rêves s’écrouler autour de lui. Il retint ses larmes et garda la tête haute.
« Laissez-moi essayer. - Plein de chatons vont passer apprenti d’ici peu, Petite Chimère. - Et alors ? Je deviendrais apprenti aussi ! - Tu ne peux pas devenir apprenti guerrier. A essayer, tu prendrais la place d’un chaton qui le peut. » Il était un poids mort. Il ferma les yeux et soupira.
« Juste pendant une lune … Je vous en supplie … » Il ne sut pas quel enchantement, le lendemain il eut une approbation du chef. Petite Vipère avait réussi à acquérir un simple « oui » par sa diplomatie légendaire. Petite Chimère lui devint redevable à vie.
Il alla se plaindre à la fratrie. Bohème compatissait mais Petite Chimère se trouvait bien égoïste de se plaindre à elle. Elle avait bien trop de soucis, et ses frères, sœurs et parents tentaient de lui voiler la face sur ces problèmes. Chimère alla gémir auprès de Vipère. Sa « grande sœur » lui disait qu’il pouvait être utile. Guérisseur était un bon rang, puis il n’y avait qu’un guérisseur par Clan. C’était une place aussi importante que chef ou lieutenante, peut – être plus si on comptait l’aspect divin de la chose. Petite Chimère hochait la tête aux paroles rassurantes de la femelle tigrée, mais au fond son avis sur les soigneurs restait aussi négatif : Ils étaient des poids morts ou des rejetés du Clan. Si un jour l’envie lui prenait d’être père il ne pourrait pas. C’était un rang contraignant et l’exil volontaire dans une tanière ne l’enchantait. Il décida de mettre ses préjugés de côté et de se concentrer sur son essai en tant qu’apprenti guerrier.
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Nuage Cadavérique avait environ son âge. Il était apprenti guerrier et faisait le double de sa taille. Guère impressionné, Nuage des Chimères se jetait sur lui, contorsionnant sa mâchoire pour atteindre le cou du félin noir. L’apprenti l’aidait à développer des techniques, usait de stratagèmes pour aider son ami.
« Si tu orientes ta mâchoire comme ça, t’auras toujours un truc dans les dents, regarde essaie ! » Il avait raison. Nuage des Chimères était persuadé qu’il pouvait réellement devenir un grand guerrier. Il deviendrait une légende vivante, un symbole de l’handicap et de la détermination. Plongé dans ses rêves, il bondissait sur le mâle ébène et utilisait son poids pour faire pression sur ses membres, plantant ses crocs dans la colonne vertébrale de son ami.
« Tu risques de tuer quelqu’un si tu fais ça par contre. » Le félin écaille s’en fichait bien.
Son mentor était embêté. Comment apprendre à un félin aux griffes inutilisables des techniques de combat reposant sur l’usage de ces « armes » ? Il faisait de son mieux pour adapter les gestes, mais l’efficacité était clairement amoindrie.
« Pourquoi tu cherches tant à devenir guerrier ? » finit – il par demander.
« J’espère être un jour Etoile des Chimères. » Devant la détermination de l’apprenti, le grand mâle préféra se taire. Rare étaient les chefs handicapés, et dans l’histoire de Cerfblanc, il y en avait jamais eu. Avant Etoile de Feu, il n’y avait jamais eu de chefs anciennement chat domestique aussi. Il afficha un sourire rassuré. Il y avait une première fois à tout.
La curiosité exacerbée de l’apprenti écaille le poussa à sortir du camp de temps en temps. Insouciant, il jouait avec le danger. La surprotection de son mentor et des guerriers le faisait se sentir surpuissant et invincible. Il était dans une bulle protectrice où rien ne l’atteignait.
Nuage des Chimères défiait la nature. Il alla près du Rocher aux Serpents, jouant au plus rapide avec les reptiles, riant aux éclats. Ce qui devait arriver arriva. L’apprenti se fit sauvagement attaquer par un des serpents. Ses cris attirèrent une patrouille de guerriers, il fut sauvé, ramené à la tanière du guérisseur, réprimandé.
« Pourquoi tu n’étais pas au camp comme tout le monde ? » hurla son père.
« Tu aurais pu mourir ! » s’inquiétait sa mère.
« Tu deviendras guérisseur. » La sentence était une nouvelle fois tombée. Nuage des Chimères ne cherchait pas à contredire son chef. Il l’avait bien cherché. Il avait eu la confiance des siens, l’estime des autres, il avait tout foutu en l’air en désobéissant.
VIDEOapprenti guérisseur
Pour mieux subir sa peine, il se mit à haïr les autres, par principe. Afin de mieux supporter le fait d’être un poids mort pour le Tonnerre, il méprisait les guerriers. Soudainement, il les trouvait vaniteux, sans cervelle, stupide. Battre la violence par la violence, il détestait cette mentalité. Chaque jour, il s’entraînait à haïr les autres, son mentor, son chef, son lieutenant. Il se refermait dans sa carapace de haine pour ne plus voir le bon chez les autres. Les deux seules personnes qu’il appréciait restaient ses biens aimés Nuage Bohème et Nuage des Vipères.
Nuage des Vipères était une pacifiste. Elle avait énormément de respect de la part de Chimère. Nuage Bohème s’entendait bien avec sa mentor, la jeune guerrière était une de ses femelles qui appréciait la candeur de sa petite sœur.
Quant à Nuage des Chimères, il haïssait son mentor. Sorbet d’Amour était grand, beaucoup le prenait pour un guerrier. Il était souvent très fier de son travail, même s’il n’était pas un guérisseur exceptionnellement doué. Chimères jouait avec ses nerfs, posait trop de questions quand le soigneur travaillait, refusait parfois l’entraînement. Il s’était résigné à devenir un guérisseur mais était loin d’être docile.
La donne changea dès les premiers patients. La vue du sang terrifiait Nuage des Chimères. L’hémoglobine lui rappelait son handicap et la douleur qu’il subissait dès qu’il sortait ses griffes. Rapidement, une forme d’admiration naissait dans son ventre à chaque patient traité, à chaque plaie refermée, à chaque patte réparée. Peu à peu, il se mit à avoir de l’estime pour les guérisseurs et en voyant les sourires des patients soignés, il comprenait les mots de Nuage des Vipères. Il allait avoir un rôle exceptionnel et la chance que l’Ombre lui avait donnée était inouïe.
« Tu n’as jamais eu peur du sang, Sorbet d’Amour ? - Tu es encore jeune et tu… - Je m’en tape de l’âge. Le sang, tu sais, le truc dégueulasse qui sort des gens, ça t’effraie ? - Oui mais je contrôle. Si je laissais la panique m’envahir à chaque urgence je serais décidément un très mauvais guérisseur. - Le guérisseur se contrôle pour être performant ? - C’est la base du rôle. » Depuis, Nuage des Chimères n’eut plus jamais peur du sang.
« Alors, tu t’amuses bien à t’entraîner à servir à rien ? - Ta gueule Cadavérique. » Nuage Cadavérique était devenu insupportable. Le mâle ébène avait toujours eu un mépris prononcé pour les guérisseurs. Nuage des Chimères ne savait pas réellement pourquoi mais il vouait une haine injustifiée pour l’apprenti guerrier désormais. La source principale était le rang tant désiré de l’autre, puis ses moqueries n’arrangeaient en rien leurs relations.
« Et toi Cadavérique ? Tu t’entraînes à taper comme un con sur des gens jusqu’à qu’ils acceptent de te léguer le pauvre morceau de territoire et qu’ils te laissent pisser trois gouttes dessus pour assoir ta domination ? Tu t’entraînes à faire des guerres, faire couler le sang ? Moi au moins j’aurais une utilité, le jour où tu chialeras parce que ta patte est foulée, tu viendras me voir. Crois moi, je l’attends bien ce jour là. Oh oui, ce jour là t’auras beau rester des heures dans ma tanière à hurler et pleurer, je te toucherais pas. Tu te démerderas. J’en ai plein le cul de tes moqueries, va te faire foutre Cadavérique, va te faire foutre, toi et ton nom à la con ! » Il se mit à haïr ses amis.
« Je me suis fait mal donc Jardin d’Eden m’a conseillé de venir. » Nuage des Chimères leva les yeux en l’air. Pas question qu’il l’aide. Nuage des Agneaux était une illuminée pour tout le monde. Ses parents se fichaient d’elle, sa mère adoptive était une vieille stérile devenue folle par son manque de maternité, son mentor était décidément trop patiente. Elle ressemblait un peu à Nuage Bohème dans ses phrases innocentes et puériles, sauf que Nuage des Chimères était intimement persuadé que l’apprentie bicolore le faisait exprès, contrairement à sa sœur adorée.
« C’est … Fâcheux. » énonça Nuage des Chimères sur une voix monocorde et un sourire agacé.
La gamine se tourna vers Sorbet d’Amour et prit cet air insupportable de l’enfant modèle.
« C’est ta fille ? » Il leva la tête, piqué au vif. Un sourire pervers apparut sur son visage. Il haïssait qu’on le rabaisse à cause de sa fourrure. Nuage des Chimères se dressa sur ses pattes, l’air impérial malgré sa petite taille.
« Non. J’ai des parents. Tout le monde n’a pas des mégalomanes comme parents qui te mettent en pouponnière et te refilent la stérile du coin pour combler son manque affectif. - Nuage des Chimères ! » L’affrontement continua, encore et encore. Nuage des Agneaux ne comprenait pas, et l’apprenti guérisseur décréta qu’elle était officiellement stupide. Il l’humilia une dernière fois et refusa de s’excuser. Jardin d’Eden, Reine de Cœur et Nuage des Agneaux partirent. Sorbet d’Amour se tourna vers son apprenti, à la fois honteux et en colère.
« J’espère que tu es fier de toi. - Complètement. - Petite enflure. - Merci. » Nuage Cadavérique, Nuage des Agneaux et Nuage des Chimères devinrent ensuite aussi soudés que les cinq doigts de la main.
Malgré l’amitié d’Agneaux, Chimères ne pouvait s’empêcher de détester Cadavérique. Il était la figure même du parfait guerrier imbu de lui-même.
« Sorbet d’Amour, tu sais pourquoi Nuage Cadavérique s’appelle ainsi ? » Son mentor parut fermé. L’apprenti sourit et lui tapota l’épaule du museau. « Allez … - Sa mère est morte en accouchant. Son père s’est enfui, le chagrin. Toute sa fratrie est morte à la naissance par ma faute, à cause de mon incompétence. - Oh, c’est triste. » Il jouait la tristesse.
« Au final, on l’a appelé Petit Cadavre. On était persuadé qu’il était mort à sa naissance, il a passé un temps avant de bouger, ou même parler. » Un sourire attendri se peigna sur le visage de Nuage des Chimères. Au fond il venait de trouver son arme ultime pour démolir cet apprenti trop moqueur.
« On est bien là non ? - Ouais … - A trois apprentis … C’est génial je trouve ! - Nuage des Chimères n’est pas un apprenti comme nous tu sais. - Ah b… - Nuage Cadavérique, tais toi, je comprends que t’aie du mal à digérer le fait que ta mère soit morte quand t’es né mais tout de même, évite de nous tuer le moral aussi, t’es gentil. » déclara l’apprenti guérisseur avec un ton mordant.
Le félin écaille jubilait. Si l’apprenti désirait se foutre de lui, fort bien, il allait l’anéantir aussi. Le mâle gris se leva et lui bondit dessus en jurant. Les deux mâles roulèrent au sol et Nuage des Agneaux les regarda faire sans bouger.
« Je me barre ! » hurla Nuage Cadavérique.
« J’en ai marre de ce gros bouffon, il ne fait que ça ! T’as jamais connu la souffrance toi ! Tu sais pas ce que c’est, souffrir, faire le deuil et se coltiner un nom honteux ! T’es juste un c*nnard qui se dit rebelle alors qu’au fond, t’es juste un emm*rdeur. Je te hais Chimères ! T’as entendu ? Je te hais ! » Le mâle écaille s’approcha, digne malgré son visage en sang. Il n’avait laissé aucune marque, il n’avait même pas daigné sortir ses griffes et se défendre.
« T’as de la bave sur le côté. Tu ressembles encore plus à un chien qui a la rage ainsi, tu es vraiment magnifique. » Il eut un petit rictus et le mâle gris partit rapidement avant de rebondir sur son ami.
« Ce n’était pas très gentil… - La vérité fait souffrir. » Nuage des Agneaux et Nuage des Chimères passaient de plus de plus de temps ensemble. Nuage Bohème s’en réjouissait, Nuage des Vipères semblait plus inquiète. Nuage des Chimères était devenu instantanément naïf. Au fur et à mesure que le mouton et la Bête se rapprochait, un étrange sentiment naissait chez Chimères. L’amour.
Il n’espérait pas ressentir quelque chose pour autrui. L’amour était une bombe à retardement pour lui. Chaque jour il se réjouissait d’être encore là, autant amoureux, et parfois il se réveillait, effrayé à l’idée que Nuage des Agneaux le méprise ou ne préfère cet imbécile de Nuage Cadavérique. Il se mit à s’inquiéter d’autrui, défendre coûte que coûte ceux qui agressaient Bohème, voyant Nuage des Agneaux à travers la candeur de sa sœur. Il fit comprendre à Nuage des Vipères qu’au final, il n’avait plus besoin d’aide.
Plus que jamais, il voulait être le mâle dominant de la fratrie. Il vouait prouver qu’il pouvait être aussi dégourdi que Vipères et autant attachant que Bohème. Malgré tout, il restait Chimères, un guérisseur malgré lui, minuscule et chétif.
« Je t’aime. » Nuage des Agneaux resta perplexe. Le mâle écaille sentit quelque chose craquer en lui et il poussa un long soupir, les yeux vides.
« C’est pas réciproque non ? - C’est différent. C’est banal comme déclaration. » Il reconnaissait la marginalité involontaire de sa dulcinée. Il comprit qu’il devait être sincère. Il n’en avait pas l’habitude. Se mettre à nu et faire tomber son masque empli de haine lui paraissait être une véritable épreuve.
« C’est vrai que je suis assez triste de te réduire à qu’une lettre et demi dans une formule aussi banale. Je pourrais dire que je t’adore, que je veux me barrer avec toi, que je pourrais sauter du haut d’un pin, me noyer dans la rivière, avaler des baies empoisonnées ou sortir mes griffes pour crever d’hémorragie, bon sang je le ferrais. Parce que tu me l’as demandé. Je pourrais balancer le gibier aux quatre coins de la forêt, mourir de faim et dépérir, si tu me l’ordonnes je le ferais. J’étais déçu de te dire je t’aime aussi, c’est con comme formulation. Mais je pense que c’est l’expression qui résume le plus le concept des sentiments. » Nuage des Agneaux sourit.
« Je refuse que tu te fasses de mal tout le temps que je serais là. » Il sentit le menton de la femelle sur son épaule. Il prit une grande inspiration, comme perdu.
« Je t’aime Nuage des Chimères. » Trop tard.
Le cœur léger, il allait voir le baptême de Vipère et Bohème. Aujourd’hui, c’était le grand jour. Bien que Bohème voyait les baptêmes d’un œil mauvais, le fait d’être une future guerrière la rendait euphorique. Chimères ne cessait de lui répéter qu’il était fier d’elle, qu’elle était devenue la guerrière forte et fière qu’il avait toujours souhaité. Il l’avait chéri, elle et Vipères.
« ÂME BOHEME ! CHANT DES VIPERES ! » Il ne scandait rien. Depuis tout petit, il avait eu ce rejet des traditions. Hurler deux misérables mots dans une foule immense le dégoûtait. Tout le monde faisait ça sans but. Il préférait aller hurler leurs prénoms une fois leur veillée fi…
« Nuage des Chimères ! Nuage des Chimères, regarde, regarde, je suis enfin guerrière, tu … » Il la regarda avec des yeux immenses. Pitié. Pitié non Bohème. Bohème bordel qu’est – ce que tu fous. Bohème tais toi je t’en prie. Bohème fait ça pour moi. Bohème … Il hocha doucement la tête et lui fit signe de se taire. Il était gêné pour elle. Tout le monde s’était tut, stupéfait.
Le baptême fut reporté. Il alla réconforter Bohème et Vipère. Bien que les femelles semblent désespérées, il tentait de les motiver du mieux qu’il pouvait.
« Vous savez, je serais bientôt guérisseur, peut – être que nos baptêmes seront fait en même temps ! Regarde Bohème ! Pendant que je parlerais à des chats dans le ciel, toi et Vipères vous serez en train de veiller et le lendemain, on se retrouvera et on pourra se parler ! » Il était incompétent pour soigner les maux psychologiques d’autrui.
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« Par les pouvoirs qui me sont conférés par le Clan des Étoiles, je te donne ton nouveau nom: Nuage des Chimères, à partir d'aujourd'hui tu t'appelleras Esprit des Chimères. - Esprit des Chimères ! Esprit des Chimères ! » Les cris l’assourdissaient. Il baissa la tête, ferma les yeux. Il ne supportait pas les baptêmes, les cérémonies bruyantes. Il ne savait pas si c’était son ouïe qui était particulièrement sensible, mais une chose était sûre : il damnait les gens qui hurlaient. Il leva les yeux : Silence des Agneaux n’hurlait pas.
Jardin d’Eden mourut. Silence des Agneaux en resta profondément choquée. Esprit des Chimères goûta aux premières déceptions de son métier : Les morts d’avance que nous tentons de sauver. Il avait goûté au fait de se démener, user de toutes les techniques inimaginables pour sauver une vie et voir ses efforts se transformer en néant. Il en parlait à Vipère et Bohème, hautement marqué par cette douloureuse expérience. De l’autre côté, Silence des Agneaux dépérissait peu à peu.
Chant des Vipères vécut une déception amoureuse. Vol du Héron l’avait abandonné et un mal-être envahit sa sœur. Esprit des Chimères tentait de la ramener, à coup de plantes qui faisait voir à nouveau les couleurs et en paroles réconfortantes. Il la cajolait, Bohème lui racontait ses journées avec l’innocence la plus admirable à observer. Le guérisseur restait ses nuits près de sa sœur, calmant ses cauchemars et ses peines, écoutant ses confidences et la rassurant. Un jour elle retrouverait l’amour, un mâle admirable ou une femelle magnifique. Il se fichait de qui prendrait en main le cœur de Vipères, tant que c’était une personne admirable.
« Un jour, tu connaîtras l’idylle, l’amour véritable, le truc qui fera le déclic en toi, qui te fera voir à nouveau les couleurs sans l’aide de petites plantes, je te le jure Vipères. Reste forte ma Vipères, je t’aime Vipères je te jure. Reste là, ne nous laisse pas avec Bohème, on a besoin de toi, t’es notre grande sœur, notre battante, notre modèle. On t’aime Vipères. T’es la meilleure, tu l’emmerdes ce connard qui t’a fait mal, on le revoit avec Bohème on lui fait manger ses dents il va le regretter. Déjà la prochaine fois qui vient me voir il va goûter au millefeuille je te promets, ça va être drôle et tu seras aux premières loges pour le voir cracher son hypocrisie et sa connerie. Allez ma Vipères, relève toi, bats toi, tu vaux mieux que lui. » Silence des Agneaux parlait de s’en aller, Esprit des Chimères ne la prit pas au sérieux. Elle parlait de s’enfuir, il en riait.
Un jour, il se réveilla et tout l’Ombre parlait d’un traître. Silence des Agneaux s’était enfuit de cette autorité pour chercher son saint Graal : Le bonheur.
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Plus personne n’était là pour le rappeler de faire les choses essentielles à la vie. Il misait son bonheur sur sa fratrie. Esprit des Chimères priait pour que Chant des Vipères aille mieux, elle le devait, il voulait survivre et puiser dans son bonheur éphémère. Silence des Agneaux était partie et pour l’Ombre, elle était devenue le traître, le poison. Il leur crachait dessus, avec leur hypocrisie et leurs jugements. Silence des Agneaux avait tout fait pour être loyal, mais leurs règles excessives l’avaient démolie. Avant de s’auto-détruire, elle avait préféré partir chercher le bonheur, voir si l’herbe était plus verte ailleurs.
Il perdit du poids. Il ne mangeait plus. Il se bourrait l’estomac de pousse de chêne pour calmer son appétit. Sa fratrie s’inquiétait, il s’en fichait. Il n’écoutait plus rien, on lui disait d’ouvrir les yeux et de vivre à nouveau, il devenait agressif et crachait sa haine sur quiconque lui disait de manger. Il faisait parfois des malaises, sa fratrie le savait. Il n’arrivait pas à se relever. Il tenta de se remémorer le discours qu’il avait fait à Vipères. Plus rien ne l’atteignait.
Chant des Vipères fut nommée meneuse. Ce fut la déchéance pour le Clan. D’abord un guérisseur dépressif, puis une meneuse trop cynique, tout le monde redoutait le choix de lieutenant. Au fond, Esprit des Chimères affichait un maigre sourire en y pensant. Chant des Vipères avait de confiance envers peu de guerriers sauf …
« Je … Euh … Âme Bohème. Le nouveau lieutenant est Âme Bohème. » Un large sourire apparut sur son visage. Etoile des Vipères, Âme Bohème, Esprit des Chimères occupaient les places les plus importantes du clan de l’Ombre. Certains prirent cette initiative comme une tentative de monarchie, mais c’était bien plus profond que ça. Les trois frères et sœurs avaient toujours été mal vus, mis de côté. Les guerriers de l’Ombre trouvaient-ils leur choix de rester ensemble étonnant ? Hypocrisie.
Esprit des Chimères emmena la future Etoile des Vipères à la Pierre de Lune. Ses yeux brillaient, son pas était plus léger. Depuis des lunes, il avait retrouvé un peu de vie depuis le départ de Silence des Agneaux.
« Je suis fier de toi, Etoile des Vipères. »