La jeune femelle rousse et blanche bondissait de rochers en rochers, insouciante et de bonne humeur, comme à son habitude. Elle était partie chasser ce matin-là, aux Rochers du Soleil. Elle aimait beaucoup ce lieu. De toute le territoire du clan c'était sans aucun doute l'endroit où les bains de soleil était le plus agréable. Les pierres étaient tièdes. La guerrière aimait s'y prélasser des heures. Pourtant, elle ne s'y arrêta pas. Elle avait promis de ramener quelque chose au clan. Tout en continuant son chemin, elle chercha une trace olfactive, museau prêt du sol et gueule ouverte. Finalement, elle trouva une effluve d’écureuil qui la mena sous le couvert de la forêt, en lisères des rochers. Elle maqua une pause, observa le paysage. Sous ses prunelles vert feuille s'étendait la rivière gorgée de poissons. Elle en vit passer un prêt de la surface, au vu du scintillement soudain de l'eau. D'un côté s'étendaient les Rochers au Soleil, comme des écailles de tortue encastrées les unes dans les autres.

De l'autre... De petits sentiers dans la roche remontaient vers un terrain plus plat, le territoire du clan de la Rivière. Entre les deux, courant en travers de la rivière, des cailloux formaient une espèce de ponts à trous. Alors que ses iris revenaient peu à peu vers ses pattes, elle vit un éclair roux bondir de l'arbre devant lequel elle stationnait. Ni une, ni deux, elle s'élança à la poursuite du rongeur qu'elle traquait. Le petit écureuil touffu courait désespérément vers la rivière. Sans doute, dans sa panique, voulait-il la traverser. La supposition de la femelle bicolore ne tarda pas à se vérifie et elle dû bondir de rocher en rocher jusqu'à la rivière, puis sur la rivière, pour enfin attraper la petite bête après un petit sprint qui lui coupa le souffle. Dans un dernier bond, elle avait bloqué sa queue sous ses coussinets. Puis, elle écrasa le corps de l'animal de son poitrail afin de lui porter un coup de crocs fatal dans le nuque. Elle avait été la plus rapide possible, mais le petit rongeur avait pu couiné et sans doute tout les autres proies l'avait entendu et avait dû s'enfuir.

Dans un soupir, elle se redressa et remarqua que l'adrénaline de la chasse lui avait fait oublier toute prudence au point de passer la rivière et courir sur le territoire ennemi pour un simple écureuil. Les vibrisses de Poussière de Soleil vibrèrent et elle se mordit la langue. Ses prunelles vertes couleur nouvelle feuille de vigne se posèrent tout autour d'elle. Lentement, elle ramassa le fruit de sa chasse et partit a reculons vers la rivière sur quelques pas, avant de se retourner pour faire les dernières longueurs de queue de renard qui la séparaient du premier rocher pour rentrer chez elle. Elle espérait que personne ne l'ai vu. Les oreilles vers l'avant et la queue haute, elle marcha vers la rive, tout en essayant de ne pas tomber en marchant sur l'énorme queue poilu du rongeur. Dans le même temps, son regard fouillait les saillies dans la roche à la recherche du moindre signe de vie. Mais visiblement, elle avait de la chance, il n'y avait personne. Arrivé au bord de l'eau courante, elle se rendu compte qu'avec son petit paquet, il lui fallait de l'élan pour sauter sur le caillou.

Alors elle s'éloigna de son objectif de quelques pas. Juste assez pour pouvoir prendre assez d'élan pour sauter.

Alors que Poussière du Soleil s'apprêtait à s'élancer d'un bond, un haut mâle au pelage couleur feu lui barra le passage. Interdite, la femelle rentra la tête dans ses épaules et recula d'un pas. La guerrière avait largement conscience qu'elle n'avait aucun droit de présence sur ce côté-ci de la rivière. Cependant, la femelle expansive sachant trouver le bon côté de chaque rencontre, prit le parti de déposer la proie à ses pattes, de sourire timidement et d'attendre l'invective du Lieutenant du clan de la Rivière. Elle sentait, et surtout, voyait à son air piqué, qui n'appréciait clairement pas cette traversée intempestive de rivière. Par ailleurs, la chatte rousse et blanche était trop à cheval sur ses principes et honnête pour oser fuir vers son territoire en le bousculant s'il ne la laissait pas passer. Et puis... Il mesurait bien une tête de plus qu'elle, Poussière de Soleil se sentait donc tel un chaton prit en faute.

« Quand une proie passe une frontière, elle n'appartient plus au Clan avant la frontière, mais à celui qui vient après. Donc, je ne me trompe pas, ceci est un vol de proies, ce qui est condamné par le Code du Guerrier, si je ne m’abuse. »

Il était évident qu'au travers de ces mots courroucés, le félin roux rejetait sur le clan du Tonnerre un manquement au Code d'honneur du Guerrier qui vibrait comme une condamnation. Poussière de Soleil n'était pas dupe. En même temps, tous reprochait au clan la relation de son frère et de leur ancienne guérisseuse. Si la femelle au regard vert si pétillant de joie ne cautionnait pas les actions de son frangin, elle ne pouvait cependant que le soutenir. Il était de son sang, et il était son Meneur. Et puis, le clan des Etoiles avait donné son aval. Ou du moins, d'après les dires de son frère, il n'avait pas interdit cet union. La chasseresse avait une confiance aveugle dans les Grands Guerriers du Passé. Et s'ils avaient laissé la possibilité à Etoile Nocturne de vivre son amour au grand jour, elle était intiment convaincu que ce n'était pas pour le punir par la suite de la sorte. Peut-être simplement était-il trop tôt pour les autres chats de la forêt, de comprendre que certaines lois étaient désuètes. Elle ne savait pas et refusait de prononcer un verdict sur ce sujet.

Elle était une guerrière, élevée avec ce codex, et dans tout les cas elle le suivrait à la lettre. Car c'est ce que feu son père lui avait transmis. Elle ne se permettait pas non plus de juger son frère. Elle se contentait de la soutenir en société, et de se questionner sur quelle réaction elle devait avoir réellement. Devait-elle suivre l'avis général ? Ou bien accepter le jugement du Clan des Etoiles ? Personne ne semblait entendre, ou ne voulait ouïr, que ces derniers avaient permis à Etoile Nocturne d'être le compagnon de leur ex-guérisseuse. D'autre part, Fleur Sauvage avait lâchement abandonné le clan, son compagnon et ses chatons... Cela réglait donc la situation, non ? Quoiqu'il était triste pour les petits de son frangin, qu'ils n'aient pas de mère. Elle avait pour eux une affection toute particulière. Son sourire s'élargit en pensant à leurs bouilles duveteuses. Ils lui donnaient encore plus l'envie de devenir Reine l'espace de quelques lunes...

Se rendant soudain compte qu'elle s'était laisser distraire par un flot de pensée envahissantes et récurrentes, elle releva ses prunelles d'un vert feuille de vigne sur la montagne qu'était le Lieutenant d'Etoile des Vents, dont le nom lui échappait. Les oreilles de la femelle se couchèrent sur son crâne et elle retrouvait ce minois d'enfant pris en flagrant délit. Petite et fine femelle au regard pétillant de joie et de candeur face au colossal et puissant mâle aux prunelles sévères. Que pouvait-elle donc répondre pour sa défense ? Si seulement défense elle avait pu avoir. De toute façon, Poussière de Soleil avait horreur de mentir ou de de ruser avec les gens. Naturelle et bon enfant, elle lâcha tout à trac, ce qui lui sembla être la meilleure solution sur l'instant.

« Je suis désolée... Ce n'était pas du tout le but recherché... Je vous la rend avec plaisir. »

Un sourire simple étirait les babines rosées de la guerrière. Elle poussa vers le Lieutenant de la Rivière le rongeur poilu. De toute façon, c'était la seule solution pacifique envisageable. Poussière de Soleil ne voyait pas l'interêt de se battre, ni même d'être sec et désagréable avec quelqu'un, alors que la courtoisie et la diplomatie pouvait régler tant de soucis.

Le soleil entamait sa course dans le ciel d'un manière flegmatique ce matin là, au dessus du campement du Clan de la Rivière. La température était agréable, et Plume de Cygne s'était réveillée tôt comme à son habitude pour prendre le temps de lisser son pelage, en bataille, à son grand désarrois. Elle avait donc passé le début de la matinée à lécher sa belle fourrure blanche après avoir mangé un demi poisson qu'un ancien n'avait pas pu finir quelques instants plus tôt faute d'appétit. Tandis qu'elle passait un dernier coup de langue sur son poitrail, signant la fin de sa lutte quotidienne avec ses poils, Plume de Cygne remarqua que son ami Eclat Roux donnait des directives à ses autres camarades de Clan de son coté. Elle s'approcha de lui et lui donna une bourrade amicale qui ne fit même pas vaciller son ancien mentor. Il avait l'habitude qu'elle le bouscule puisqu'elle savait que de toute façon ça n'aurait jamais aucun effet sur lui. Grand machin va.

« Tu viens avec moi ? »
« Si je veux t’assassiner à l’abri des regards pour prendre ta place, il faudra bien. » Sourit-elle.

Et les deux complices quittèrent donc le campement côte à côte, la fourrure rebelle de Plume de Cygne effleurant celle du lieutenant massif. Après quelques minutes à trotter au travers du territoire de la Rivière, Plume de Cygne constata que le niveau de l'eau avait encore baissé le long de la frontière qui les séparait du Clan du Tonnerre, ce qui lui provoqua une moue contrariée. Le Clan du Tonnerre semblait être devenu l'ennemi public numéro un ces derniers temps, et bien qu'elle n'ait jamais eu une attitude haineuse envers les chats de Clans adverse, Plume de Cygne ne pouvait s'empêcher d'éprouver une réserve toute particulière vis à vis des membres du Clan du Tonnerre depuis la dernière assemblée. Le comportement du chef et de la guérisseuse avaient des allures blasphématoires, et Plume de Cygne ne pouvait s'empêcher de généraliser leur attitude à tout les membres du Clan. Si le Code du Guerrier était bafoué par le chef qui se permettait de fonder une famille avec la guérisseuse elle même, alors comment une frontière affaiblie par la chaleur du soleil pouvait elle être interprétée ? Une invitation à l'invasion ? Chassant ses idées noires d'un mouvement de tête, la petite femelle s'éloigna d'un pas vif de son camarade de Clan alors qu'elle entamait sa chasse, tuant au passage une souris en remontant le cours d'eau. Contrairement à beaucoup des chats des son Clan, elle appréciait la viande rouge, et c'est souvent elle qui se retrouvait à manger les rongeurs, négligés par les autres membres du Clan de la Rivière. Remontant ainsi la rivière, la jeune guerrière tua un poisson au passage. Peut-être son intuition avait elle été mauvaise après tout. Enfin, deux proies seraient déjà un bon début pour le Clan, et complété avec la patrouille de chasse, le campement dormirait le ventre plein cette nuit là. Sa déception fut de courte durée.
S'en retournant vers Eclat Roux, la femelle au poil blanc cacha ses deux proies sous un carré de mousse, prenant soin à ne pas trop les salir. Elle fila ensuite entre les roseaux bordant la berge, agile et rapide, et sautant de pierres en pierres, elle se retrouva même à courir tout au bord de la rivière. La fraîcheur environnante lui faisait un bien fou, elle qui subissait la chaleur du fait de son pelage si épais en hiver comme en été. L'odeur du Clan du Tonnerre était toute proche; Deux pas de plus sur sa gauche et elle aurait franchit la frontière, ce qu'elle se garda bien de faire, la longeant précautionneusement. Enfin, elle entrevit au loin le pelage feu de son camarade de Clan sur la berge, mais il n'était pas seul : Une autre forme rousse se tenait dressée devant lui. Intriguée, Plume de Cygne s'approcha pas à pas, ne parvenant pas à capter la moindre bribe de conversation tandis qu'elle reconnaissait Poussière de Soleil, une guerrière du Clan du Tonnerre.

Plume de Cygne s'approcha silencieusement de la scène, et se plaça derrière la guerrière rousse à l'odeur étrangère. Cette femelle, elle la connaissait, elles avaient déjà discuté une fois ou deux au cours de précédentes assemblées. Plus âgée qu'elle, la chatte rousse aux yeux émeraude était légèrement plus grande, ce qui acheva de mécontenter Plume de Cygne, qui fit le gros dos en gonflant son pelage pour paraître plus imposante. Qu'est ce qu'une guerrière vétérante venait faire sur les terres du Clan de la Rivière ?

« Je suis désolée... Ce n'était pas du tout le but recherché... Je vous la rend avec plaisir. »

Vol de proie. « Accidentel. »
Erreur étrange de la part d'une guerrière expérimentée. Un apprenti ou un guerrier nouvellement nommé aurait pu se tromper et franchir la frontière en pleine course poursuite, cela était presque fréquent, surtout en pleine concentration, mais quelqu'un de mature comme Poussière de Soleil n'aurait jamais dû faire une pareille erreur.

« Poussière de Soleil. »

Au moment ou elle prononçait ces mots, Plume de Cygne s'asseyait derrière la guerrière du Clan du Tonnerre, ses salutations réservées étant plus destinées à signaler sa présence qu'à véritablement entamer une conversation. Les yeux de Plume de Cygne s'étrécirent à deux fentes bleutées tandis qu'elle plongeait son regard bleu limpide dans celui dans celui d'Éclat Roux, son ami de toujours : après tout c'était aussi son supérieur, et elle ne se permettrait pas de se relâcher tant qu'il ne lui aurait pas fait comprendre que la situation était clarifiée. Elle était sous ses ordres dans ce genre de situation.

Upinou ?